Stratégie

Mettre la pensée stratégique au service du développement de l’entreprise

Sylvain Monnerie Maxima, 2018

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Utilisé au départ dans le domaine militaire, il s’est étendu à d’autres environnements, notamment à l’économie et à la gestion d’entreprise.

Quelles sont les racines de la pensée stratégique en entreprise ? Qui en sont les principaux théoriciens ? Quelle est la différence entre Strategic Process et Strategic Design ? Sylvain Monnerie, Senior Manager chez Ernst et Young ADVISORY, nous entraîne au cœur de l’histoire de la pensée stratégique en entreprise. Elle s’intéresse à la réflexion orientée contenus de la stratégie, une modélisation désigné par le terme de Strategic Design. Un ouvrage instructif pour qui souhaitent mieux comprendre la démarche stratégique en entreprise.

En quelques Mots

  • Il faut comprendre l’architecture globale de l’entreprise pour mieux appréhender la stratégie, un concept victime de polysémie.
  • Enseignée d’abord comme politique générale d’administration, la pensée stratégique a vu émerger différents courants de pensée.
  • Strategic Design et Strategic Process les deux paradigmes qui structurent la pensée stratégique.
  • L’art militaire influence sur notablement le Strategic Design.
  • La pensée culturelle occidentale, l’économie industrielle et le positivisme façonnent l’idéologie du Strategic Design.
  • Formuler, planifier, se positionner et déterminer les ressources stratégiques : les quatre grands courants de la pensée du Strategic Design apportent chacun un contenu théorique distinct.

Si on résume

L’entreprise évolue autour de trois axes.
Le premier est la philosophie d’entreprise, qui impulse ‘la direction et le sens de l’action’ tout en fixant les perspectives à long terme.
Le deuxième est la politique générale, en d’autres termes, l’élaboration des objectifs fondamentaux.
Le troisième axe est la stratégie, sa mission consiste à identifier les moyens d’atteindre les objectifs édictés par la politique générale. De ce fait, cette dernière occupe une ‘position hiérarchiquement supérieure’ à la stratégie en lui imposant les objectifs à atteindre. Comprendre cette hiérarchie nous permet de mieux appréhender la position de la stratégie dans ‘l’architecture globale’ d’entreprise, et sa relation avec la politique générale et la philosophie d’entreprise.

« La seconde moitié du XX siècle a vu le champ de la pensée en stratégie d’entreprise passer d’une absence réelle d’interrogation à une atomisation de la réflexion et une multiplication des courants de pensée. »

Le concept de stratégie, longtemps réservé au domaine militaire, s’est progressivement étendu à d’autres secteurs d’activité, ce qui a donné lieu à de nombreuses dérives sémantiques et un ‘délitement’ marqué dans notre langue. On use et abuse du concept, ce qui a pour effet de créer une véritable ‘stagflation théorique’ de la stratégie, illustrée par ‘un manque relatif de conceptualisation et une faible hiérarchisation des concepts’. De nombreux services de l’entreprise, qu’il s’agisse du marketing, de la finance ou de la logistique, se sont appropriés ce terme, devenu progressivement polysémique. Jean-Paul Charnay, philosophe et spécialiste de la stratégie, en propose une triple vision, résultant du large éventail de définitions qu’on lui attribue. De par ses origines militaires, la stratégie fait tout d’abord référence à ‘une hiérarchie sociale’ et ‘une répartition des pouvoirs’. Elle est une combinaison d’idées et de moyens dans le but de réaliser des manœuvres. Enfin, en tant que ‘praxéologie sociale’, elle est un ‘système intellectuel orienté vers l’action’ garantissant la pérennité d’une organisation.

Enseignée d’abord comme politique générale d’administration, la pensée stratégique a vu émerger différents courants de pensée.

La stratégie d’entreprise est née en 1908, avec l’ouverture du premier cours de ‘politique générale d’administration’ à la Havard Business School, un enseignement repris par la suite dans la plupart des écoles de commerce américaines. JÀ partir des années 60, la stratégie devient un ‘champ socio-cognitif’ à part entière. Ce nouveau postulat marque l’émergence du conseil en stratégie, et de la création de cabinets de conseil en stratégie, tels que Mc Kinsey et le Boston Consulting Group (BCG).

« Ainsi à l’origine, la stratégie prend naissance dans le domaine militaire, induit un état de guerre et peut se définir comme l’art de conduire des forces armées en vue de la victoire. »

Le BCG identifie deux niveaux de stratégie. Le premier niveau est ‘la stratégie de groupe’ (corporate strategy), définie par la direction générale et qui dicte à l’entreprise le choix du secteur dans lequel elle va s’engager. Le deuxième niveau est ‘la stratégie d’activités’ (business strategy). Décidée par les unités opérationnelles, elle précise les démarches que l’entreprise doit entreprendre pour se positionner dans son ou ses secteurs d’activités. Parce qu’elle segmente l’entreprise selon ses domaines d’activité, la méthodologie du BCG offre aux grands groupes un outil efficace pour le contrôle et la planification. Toutefois, avec le choc pétrolier de 1973 et la crise économique qui s’ensuit, les entreprises s’aperçoivent qu’elles évoluent dans un environnement difficilement prévisible. Elles abandonnent provisoirement leurs rêves de planification stratégique à long terme pour se concentrer sur le management opérationnel à court terme. Dès 1976, H. Igor Ansoff met en avant le ‘management stratégique’ pour trouver le juste équilibre entre les contraintes liées à l’environnement et les capacités de l’entreprise. À partir de 1980, Michael Porter, professeur à Harvard, introduit la notion ‘d’avantage concurrentiel’ au cœur de la stratégie d’entreprise. La stratégie d’entreprise devient un outil qui permet à l’entreprise d’asseoir une position forte à long terme sur son marché. Si l’œuvre de Porter a eu une énorme influence, la stratégie d’entreprise connaît dès les années 80 une ‘forme d’atomisation’ avec l’émergence de différents courants de pensée.

Strategic Design et Strategic Processsont les deux paradigmes structurants de la pensée stratégique.

La multiplicité des points de vue complique la classification de la pensée stratégique. On peut néanmoins s’appuyer sur les travaux d’Henri Mintzberg pour recenser et hiérarchiser les principaux paradigmes structurants. Mintzberg distingue neuf écoles de pensée principales, réparties en deux groupes. Le premier groupe est le groupe ‘normatif’. Il inclut trois écoles qui théorisent la partie ‘définition’ de la stratégie : ‘[l’]École de la conception’, ‘[l’]École de la planification’ et ‘[l’]École du positionnement’. Quant au second groupe, le ‘descriptif’, il regroupe six écoles qui s’intéressent à ‘la description des processus d’élaboration de la stratégie’. Il s’agit des Écoles ‘entrepreneuriale’, ‘cognitive’, ‘de l’apprentissage’, ‘du pouvoir’, ‘culturelle’ et ‘environnementale’. Le premier groupe s’intéresse au contenu alors que le deuxième se concentre sur le processus, donnant naissance aux deux pensées stratégiques suivantes :

  1. Le Strategic Design s’intéresse à la manière dont la stratégie doit être formulée. Il fournit aux managers des outils et des modèles facilitant la décision. Le Strategic Design contribue ainsi à identifier la stratégie concurrentielle optimale pour l’entreprise, en mettant l’accent sur ‘les dimensions économiques’ de cette stratégie. Le Strategic Design s’inscrit dans le groupe normatif tel que défini par Mintzberg.
  2. Le Strategic Process s’intéresse à la manière ‘dont se forment et évoluent les stratégies’. Il ne vise pas à formuler des recommandations à l’intention des managers. Le Strategic Process est axé principalement sur l’individu et son processus de réflexion et d’action au sein de l’entreprise. Il met l’accent sur la dimension socioculturelle de l’entreprise. Le Strategic Process fait partie du groupe descriptif selon la classification de Mintzberg.

L’art militaire exerce une influence marquée sur le Strategic Design.

Parce qu’il porte avant tout sur l’analyse des situations conflictuelles, l’art de la guerre a influencé de nombreux courants de la stratégie d’entreprise, et plus particulièrement le Strategic Design. Cette influence se retrouve dans la construction du raisonnement et l’organisation des démarches analytiques particulières. Mais quelles sont les origines de cette influence et quel est l’impact des concepts militaires sur la stratégie d’entreprise ? Quelles relations existent entre concepts militaires et management ? On distingue quatre grandes théories militaires :

  1. L’ambition rationaliste : d’inspiration française, cette théorie voit la science militaire comme une ‘démarche rationalisée’ dont chaque situation serait appréhendée selon des principes géométriques et géographiques. Le raisonnement mathématique y occupe une position centrale.
  2. L’approche allemande : Clausewitz, le chef de file de ce courant théorique, affirme ‘l’importance des forces morales des troupes sur la victoire’. Il distingue trois niveaux de la démarche militaire : le niveau politique (recours à la force physique), le niveau stratégique (identification des moyens mis en œuvre pour mener une guerre) et le niveau tactique (qui ‘définit l’emploi des moyens au niveau de l’engagement’).
  3. Le paradigme classique : selon cette théorie, les pays sont inévitablement amenés à se combattre l’un l’autre. Le conflit devient un ‘instrument de la politique’, et la guerre a pour objectif de mobiliser les forces militaires de la manière la plus rationnelle possible pour assurer la victoire.
  4. La révolution nucléaire post Seconde Guerre mondiale : en laissant entrevoir l’anéantissement possible de l’humanité, Hiroshima a totalement changé l’approche de la stratégie guerrière. Celle-ci ne vise désormais plus la confrontation à tout prix, mais l’obtention ‘[d’]un résultat favorable au moindre coût’. La notion de destruction cède la place au pouvoir de la dissuasion.

« Évolution sensible, le début des années 60 marque l’émergence de la stratégie comme véritable champ socio-cognitif. »

Aujourd’hui, ‘le langage guerrier’ s’est largement répandu dans l’entreprise : on tue la concurrence, on lance des batailles commerciales, on est offensif… On assiste à un transfert notable des théories propres à la stratégie militaire vers la stratégie d’entreprise. À la fin des années 70, Ries et Trout, et dans une plus large mesure Kotler et Singh, développent le concept de Marketing Warfare (ou marketing de combat), par lequel les concurrents s’affrontent pour gagner des segments et des parts de marché. Swiners met en avant un nouveau concept, le warketing, ‘un marketing-management appliquant à la guerre commerciale mondiale les théories stratégiques et militaires’.

La pensée culturelle occidentale, l’économie industrielle et le positivisme façonnent l’idéologie du Strategic Design.

La pensée occidentale privilégie ‘la dialectique des fins et des moyens’, ou en d’autres termes, ‘le rapport théorie-pratique’. L’action stratégique s’inspire donc du modèle scientifique et technique, qui considère la stratégie comme ‘un plan projeté sur le cours des choses’. La stratégie façonne le monde et modèle le réel pour atteindre les objectifs souhaités. Les écoles du Strategic Design sont largement influencées par cette vision mécaniste. Elles prônent une séparation du travail de conception et du travail d’exécution, et postulent que la réflexion précède et oriente l’action. Le Strategic Design privilégie donc les données mathématiques et quantitatives, aux dépens du sens de l’action.

« La stratégie se voit assigner comme objectif d’assurer à l’entreprise une position stratégique défendable sur le long terme. »

Les notions de concurrence, d’économies d’échelle ou d’avantage comparatif qui influencent largement la pensée Strategic Designsont toutes issues de l’économie industrielle. Des méthodes d’analyse stratégique telles que la matrice SWOT (strengths, weaknesses, opportunities, threats) s’inspirent de l’organisation industrielle. Porter, par exemple, adapte aux problématiques opérationnelles et stratégiques les concepts propres à l’économie industrielle. Il identifie cinq forces concurrentielles (concurrence entre les entreprises, ‘menace des nouveaux entrants’, ‘menace des produits de substitution’, ‘pouvoir de négociation des fournisseurs’ et ‘pouvoir de négociation des clients’) qui, selon lui, dominent la structure compétitive d’un secteur d’activité. Porter définit également trois ‘stratégies génériques’, qui dépendent de la structure d’une industrie donnée, et des forces et des faiblesses de l’entreprise elle-même. Il s’agit de la stratégie de domination par les coûts, la stratégie de différenciation produit et la stratégie de focalisation. Enfin, Porter emprunte à l’économie industrielle un concept important : la chaîne de valeur.

« Influence scientifique et technique, la conception occidentale de la stratégie s’ancre dans une logique de transformation matérielle du monde. »

Issu de la pensée cartésienne, le positivisme d’Auguste Comte se voulait la phase ultime de l’évolution de la connaissance ‘après le stade théologique et le stade métaphysique’. En ce sens, il privilégiait l’observation pratique par rapport à l’abstraction. Vers la fin du XIXe siècle, l’américain Taylor, par exemple, entreprend de transposer la science positiviste à la gestion d’entreprise. La stratégie d’entreprise est envisagée comme un mode de réflexion déductif qui permet de prévoir, de planifier, de coordonner et de contrôler les activités de l’entreprise. Cette approche a profondément marqué le développement des écoles du Strategic Design.

Formuler, planifier, se positionner et déterminer les ressources stratégiques : les quatre grands courants de la pensée du Strategic Design apportent chacun un contenu théorique distinct.

La première école, celle de la conception, propose un modèle d’aide à la décision stratégique. On formule d’abord des objectifs généraux, puis on définit la stratégie et les mesures à mettre en œuvre pour les atteindre, tout en tenant compte de l’environnement et des ressources de l’entreprise. Cette démarche permet de délimiter les opportunités et les menaces, et d’y pallier en déployant ‘des options stratégiques alternatives’. La prise de décision stratégique se fait dans le respect des éléments identifiés, des valeurs défendues par l’entreprise ainsi que de sa responsabilité sociale. Dans le cadre de l’École de la conception, la stratégie est ‘planifiée et unique’ et relève de l’autorité du chef d’entreprise.

« Il est indéniable que l’économie industrielle ait influencé la stratégie d’entreprise. Les notions de compétitivité, de taille critique, d’économie d’échelle, d’avantage comparatif sont autant de concepts issus de l’économie industrielle et qui ont été largement intégrés à la pensée stratégique. »

Les principes développés par la deuxième école, l’École de la planification, visent à atteindre ‘une plus grande capacité de rationalisation des décisions pour les entreprises’. Elle s’appuie notamment sur la gestion prévisionnelle et la planification des décisions. Le développement des techniques financières et comptables, et l’évolution des méthodes quantitatives, facilitent l’introduction de la planification dans la gestion de l’entreprise. Celle-ci se déroule en trois étapes : la fixation d’objectifs quantifiables, l’élaboration d’un programme de mesures à mettre en œuvre et l’annualisation de ce plan sous forme de budgets répartis par services et contrôlés tous les ans. L’acteur principal dans le cadre de l’École de la planification est le ‘planificateur’. Le dirigeant n’intervient ici que pour valider – et non élaborer – la stratégie.

« La planification s’infiltre logiquement dans la grande entreprise entre 1950 et 1970. »

Avec la troisième stratégie, celle du positionnement, l’entreprise doit identifier la position spécifique qu’elle souhaite occuper dans son environnement et y exploiter un avantage concurrentiel. Le dirigeant reste maître des choix stratégiques, mais il est soutenu dans ce processus par un ‘analyste’. Celui-ci utilise ‘le traitement de données quantitatives et le calcul analytique’ pour déterminer, élaborer et déployer la stratégie. Les travaux de Michael Porter ont largement influencé la pensée de l’École du positionnement.

« La RBV fournit également un outil précieux permettant de donner des orientations de diversification. L’entreprise ne dispose plus d’un portefeuille de domaines d’activités stratégiques mais de ressources et de compétences. »

Les années 80 verront s’imposer un quatrième courant de pensée : la Resource-Based-View(RBV) – ou théorie du management par les ressources – est incluse dans le paradigme du Strategic Design. Cette approche identifie les ressources stratégiques susceptibles de fournir un avantage concurrentiel à une entreprise. Elle s’intéresse aux ressources internes de l’entreprise pour déterminer quels ‘actifs tangibles et intangibles’ l’aideraient à développer un ‘avantage concurrentiel soutenable et renouvelable’.

À propos de l’auteur

Sylvain Monnerie est titulaire d’un DESS Sémiotique et Stratégie et d’un MBA Audit, Risk Management & Assurances. Il est Senior Manager chez Ernst et Young ADVISORY, spécialisé dans les problématiques de stratégie, de marketing et de distribution des Services Financiers.

Managers, sachez quand arrêter de parler et commencer à écouter.

À l’approche de la nouvelle année, de retour à Paris voici un conseil de toute fin d’année.

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En tant que manager, vous devez probablement parler beaucoup. Vous voulez que les gens aient les bons conseils et connaissent la direction prise, bien sûr, et il y a beaucoup de situations où vous devez exprimer votre opinion. Mais à un moment donné, parler beaucoup se transforme en une communication excessive.

Vous finisez par dominer les conversations, et les points de vue des employés ne sont pas entendus.

Pour vous assurer que vous ne parlez pas trop, écoutez autant que vous parlez.

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Lorsque quelqu’un soulève un point en réunion, invitez les autres à intervenir avant vous. En fait, n’apportez vos idées qu’après celles offertes par plusieurs autres personnes. De cette façon, tout le monde est inclus et sent que sa contribution est appréciée.

Vous pouvez également planifier des séances individuelles régulières avec les membres de votre équipe pour encourager une communication ouverte. Interrogez les collaborateurs sur leurs désirs, leurs besoins et leurs préoccupations – puis taisez-vous.

Vous serez surpris de tout ce que vous apprendrez lorsque vous ne dites rien.


This tip is adapted from “Don’t Be the Boss Who Talks Too Much,”
by Hjalmar Gislason.

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Tout le monde ment… (et vous aussi !)

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Le Big Data : une mine d’or numérique largement inexploitée ou comment estimer le taux de chômage grâce aux recherches vers des sites pornographiques.

Le premier pouvoir du Big Data consiste à nous fournir des données inédites susceptibles d’être profitables dans des domaines où peu d’études ont été réalisées. Dès lors, son intérêt réside non dans le volume de données qu’il propose, mais dans sa capacité à présenter des informations qui n’avaient jamais été recueillies auparavant.

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« Avant Google, des informations sur certaines activités de loisir – les ventes de billets de cinéma, par exemple – pouvaient donner une idée de l’importance du temps libre dont les gens disposaient. Mais savoir combien ils en consacrent à la pornographie ou au jeu de solitaire est une possibilité nouvelle – et puissante. »

Considérons par exemple le taux de chômage mensuel aux États-Unis. Cette donnée cruciale a un impact à tel point significatif sur la Bourse que les institutions financières sont prêtes à payer le prix fort pour ‘le connaître, l’analyser et l’exploiter’ le plus rapidement possible. Or, ce taux résulte d’un sondage téléphonique effectué par le Bureau of Labor Statistics (BLS) et les données datent déjà de plus de trois semaines au moment de leur publication. Autant dire une éternité pour le monde de la finance, dont le rythme des transactions boursières se mesure aujourd’hui en millisecondes. Existe-t-il un moyen d’obtenir plus rapidement les statistiques du chômage ? Jeremy Ginsberg, un ancien ingénieur de chez Google, avait remarqué que, comme pour l’emploi, les données relatives à la santé publique étaient publiées avec une semaine de retard. Il partit de l’hypothèse que les individus grippés étaient susceptibles d’interroger Google sur les symptômes qu’ils présentaient – avec des termes de recherche comme ‘symptômes de la grippe’ ou ‘douleurs musculaires’ – et qu’en collectant ces informations, il serait possible de mesurer en temps réel les foyers actifs de la grippe.

Au même moment, Google lança le service Google Correlate, un outil permettant d’établir des corrélations entre des séries de données. Avec ce nouvel outil, serait-il possible de calculer le taux de chômage en corrélant les recherches effectuées sur Google par les habitants d’un pays donné ? En saisissant le taux de chômage aux États-Unis dans Google Correlate, vous obtenez effectivement les recherches les plus corrélées avec ce thème. Pourtant, contre toute attente, le terme le plus recherché n’est pas ‘services de l’emploi’ ou ‘nouveaux emplois’ mais le nom d’un site pornographique ! Le fait que les chômeurs disposent de beaucoup de temps libre n’est pas étranger à cette découverte. Aussi inhabituel que cela paraisse, exploiter ces données et les intégrer dans un modèle prédictif permet donc de rendre compte du taux de chômage.

Ne vous fiez jamais aux sondages. Pour obtenir des opinions désinhibées, utilisez votre moteur de recherche. 

La plupart d’entre nous mentent, non pas par perversion mais plutôt parce que nous sommes victimes du ‘biais de désirabilité sociale’, un mécanisme psychologique qui nous pousse à vouloir nous présenter sous un jour favorable à nos interlocuteurs. Si tout le monde ment, le deuxième pouvoir du Big Data en revanche, consiste à nous fournir ‘des données sincères’. En effet, contrairement aux sondages en face à face ou au téléphone où les données peuvent être biaisées en raison de l’effet de désirabilité sociale, le Big Data agit comme ‘un sérum de vérité numérique’ et incite les individus, grâce à son contexte impersonnel, à fournir des réponses honnêtes. De plus, l’anonymat relatif qu’offre Google vous incite à vous épancher et donne des informations plus exactes sur votre personnalité que ne le ferait un sondage. Si vous pensez souffrir de dépression, vous n’êtes pas obligé de le dire au cours d’un sondage. En revanche, il y a de fortes chances que vous ayez effectué des recherches sur Google quant aux symptômes de la dépression.

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Google peut même découvrir la vérité si vous vous mentez à vous-même ! Avant une élection dans votre région, vous et vos voisins pouviez envisager de vous rendre au bureau de vote le jour dit. Mais si ni vous ni vos voisins n’avez effectué de recherches sur la manière de voter ou pour simplement trouver l’adresse du bureau de vote, les spécialistes en données numériques en déduiront que la participation sera faible dans votre région.

« L a révolution du Big Data n’est pas tant dans la collecte de données toujours plus nombreuses que dans la collecte des bonnes données. »

En termes d’orientation sexuelle, l’analyse des données Google montre qu’environ 5 % des hommes aux États-Unis sont homosexuels. Parmi ceux-ci, certains seraient bisexuels, d’autres ne seraient pas encore sûrs de leur identité sexuelle – et beaucoup ne se dévoileraient pas. L’État de Rhode Island, État le plus favorable au mariage gay, compterait officiellement beaucoup plus d’homosexuels que l’État du Mississippi, beaucoup moins favorable. Rien n’est moins vrai. L’analyse des recherches Google montre que sur l’ensemble des recherches de sites pornographiques effectuées par des hommes, 4,8 % de ces recherches concernent des contenus gays dans le Mississippi, pour 5 % de moyenne nationale. Ainsi, l’orientation sexuelle dans le Mississipi semble être quasi identique à celle de l’État le plus libéral en la matière, à la seule différence que dans le Mississipi, les homosexuels ne peuvent afficher leurs préférences ouvertement.

Les recherches Google permettent également de débusquer ‘des preuves de préjugé implicite’ contre des segments spécifiques de la population, notamment des biais discriminant les petites filles. En effet, lorsque des parents de jeunes enfants cherchent à savoir si leur progéniture est dotée d’un quotient intellectuel supérieur, ils sont deux fois et demie plus nombreux à commencer leur recherche Google par ‘Mon fils est-il doué ?’, que par ‘Ma fille est-elle douée ?’. De même, en ce qui concerne l’apparence, les recherches des parents sont deux fois plus nombreuses sur les moyens de faire perdre du poids à leur fille qu’à leur fils. Fait plus étonnant encore, les recherches Google ‘peuvent décrire un monde différent de ce qu’on en voit d’ordinaire’. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, on évalue aux États-Unis à seulement 50 le nombre de recherches mensuelles portant sur le regret de ne pas avoir d’enfants, contre 1 730 pour celles exprimant le regret d’avoir des enfants.

Des fraudeurs aux femmes enceintes, le Big Data met à jour des données infaillibles sur des segments de population précis

Le troisième pouvoir du Big Data nous ‘permet de zoomer sur de petits sous-ensembles de personnes’. Si nous disposons de suffisamment de données, nous pouvons observer avec précision le comportement des individus, détailler leurs moindres faits et gestes, et en tirer les enseignements idoines.

« Pour obtenir des réponses honnêtes, les sondages par Internet sont préférables aux sondages par téléphone, qui sont préférables aux sondages en face à face. Les gens en admettront plus s’ils sont seuls que s’il y a quelqu’un d’autre dans la pièce. »

Prenons l’exemple des personnes qui trichent dans leurs déclarations fiscales. Aux États-Unis, les travailleurs indépendants avec un enfant à charge et un revenu imposable annuel de 9 000 dollars exactement ont droit à l’Earned Income Tax Credit, une allocation de 1 377 dollars versée par l’État. S’ils déclarent davantage, leurs taxes augmentent et s’ils déclarent moins, le montant de l’allocation diminue proportionnellement. Curieusement, une grande partie des travailleurs indépendants déclarent exactement 9 000 dollars de revenu imposable, alors que des contrôles ont révélé que ce montant était souvent erroné et que les contribuables déclaraient la somme qui leur permettrait de toucher l’intégralité de l’allocation.

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Selon une étude effectuée par Raj Chetty, professeur à Harvard, sur la masse de données détenues par les services fiscaux, ce genre de fraude varie d’un État à l’autre. Par exemple, 30 % des personnes au sein de cette catégorie déclarant un revenu de 9 000 dollars à Miami, contre seulement 2 % à Philadelphie. Pourquoi cette différence ? L’équipe de Raj Chetty a corrélé le taux de fraude avec d’autres critères démographiques et a découvert deux ‘puissants facteurs prédictifs’ : une grande concentration d’individus ayant droit à l’allocation et une importante concentration de conseillers fiscaux dans la région ! L’étude a également révélé que si les Américains déménageaient d’une région où cette fraude fiscale était peu courante pour s’installer dans une région où elle était plus répandue, ils finissaient par découvrir l’astuce et l’adopter.

« Nous sommes sans cesse inondés d’images de familles heureuses, de familles merveilleuses. La plupart des gens n’imagineraient jamais pouvoir regretter d’avoir des enfants. Pourtant, certains le regrettent. Ils ne peuvent l’avouer à personne – sauf à Google. »

Les recherches Google sur le déroulement de la grossesse dans différents pays du monde dévoilent des résultats surprenants. Si la fréquence des recherches sur les symptômes ou envies associés au mot ‘enceinte’ sont quasi-similaires dans la plupart des pays, d’autres pensées peuvent être radicalement différentes. Les questions sur ce qu’une femme enceinte peut faire sans se mettre en danger, par exemple, varient d’un pays à l’autre. Aux États-Unis, les principales préoccupations sont de savoir si une femme enceinte peut ‘manger des crevettes’ ou ‘boire du vin’. Des préoccupations qui ne figurent pas en tête de liste en Australie, où l’on se préoccupe davantage de la consommation de produits laitiers, ou encore au Nigéria, où la première question est de savoir si une femme enceinte peut boire de l’eau froide.

Comment les tests A/B ont fait décoller la campagne électorale d’Obama et de quelle manière Google les utilise pour augmenter ses recettes publicitaires

Le quatrième pouvoir du Big Data ‘est qu’il permet de réaliser de nombreuses recherches de causalité’ en facilitant les expériences aléatoires susceptibles d’identifier les véritables causalités, contrairement aux expériences randomisées hors ligne qui exigent des moyens financiers (et autres) beaucoup plus importants. Grâce au Big Data, le monde entier peut devenir un véritable laboratoire.

« Sans aucun doute, il y a beaucoup à apprendre en zoomant sur les aspects de la santé et de la culture dans différents coins du monde. Mais d’après ma première analyse, le Big Data nous dira que les humains sont encore plus désarmés qu’on ne le croit devant leur biologie. »

Chez Google, les expériences randomisées contrôlées ont été renommées ‘tests A/B’. Pour savoir comment inciter davantage d’internautes à cliquer sur les annonces publiées via son site, Google peut présenter deux gradations de bleu : une pour le groupe A et l’autre pour le groupe B. Il ne lui reste plus qu’à comparer les pourcentages de clics sur l’une ou l’autre couleur, d’où le nom de tests A/B. Cette méthode a été utilisée lors de la première campagne présidentielle de Barack Obama pour tester les différents designs du site Internet de la campagne, les demandes envoyées par e-mail et les formulaires pour les dons. Pour accueillir les visiteurs sur le site, par exemple, plusieurs images d’Obama ont été testées en combinaison avec différentes touches indiquant ‘Rejoignez-nous’ ou ‘En savoir plus’. La combinaison gagnante (la photo de la famille Obama et la touche ‘Pour en savoir plus’) a permis d’obtenir ‘40 % d’adhésions en plus’, soit 60 millions de dollars de financements additionnels.

« Dans le monde digital, les expériences randomisées peuvent être rapides et peu coûteuses. Inutile de recruter et de rémunérer des participants. Il suffit d’écrire une ligne de code pour les ranger dans un groupe. »

Les tests A/B sont importants pour nous aider à combler ‘les lacunes de nos connaissances sur la nature humaine’. Des changements parfois mineurs peuvent être apportés grâce aux tests A/B et avoir un impact décisif. Fin 2012, Google a introduit une modification dans ses annonces publicitaires en y ajoutant une flèche inscrite dans un carré et pointant vers la droite. De nombreux clients ont critiqué ce nouveau format, mais Google a révélé que ces flèches avaient emporté les tests A/B et qu’elles incitaient davantage d’internautes à cliquer vers le lien correspondant. Sans pour autant connaître les montants additionnels générés par ce changement, on comprend que l’ajout de cette flèche (une modification mineure) fait certainement gagner davantage d’argent à Google et à ses annonceurs. S’il vous arrive parfois de constater des changements mineurs momentanés dans la disposition des annonces puis un retour à la normale, il se pourrait que vous ayez, à votre insu, fait partie d’expériences randomisées contrôlées !

Des cours de la Bourse au recrutement : mythes et réalités du Big Data

Ceux qui prétendent pouvoir prédire l’évolution des marchés boursiers à partir du Big Data sont victimes du ‘fléau de la dimension’. Ce phénomène rend impossible toute prédiction incontestable du fait de l’augmentation exponentielle du ‘nombre de variables des nouveaux jeux de données’ par rapport au nombre des données traditionnelles. Il s’applique aussi à la recherche génétique. Des généticiens se sont intéressés au Big Data dans l’espoir d’identifier les gènes provoquant certaines maladies, comme la schizophrénie, ou ceux à l’origine d’un quotient intellectuel élevé. En 1998, Robert Plomin, un généticien comportemental, a affirmé avoir isolé le gène de l’intelligence (l’IGF2r) après avoir analysé un échantillon de données sur l’ADN et le QI de centaines d’étudiants. Pourtant, quelques années plus tard, après avoir analysé de nouvelles données sur un autre échantillon de personnes, le scientifique a annoncé que sa conclusion initiale était erronée. La multiplicité du génome humain ne permet tout simplement pas d’établir ce type de corrélation.

« Quelquefois, la puissance du Big Data est si impressionnante qu’elle en devient effrayante. »

Si le Big Data a ses limites, il soulève également certaines interrogations d’ordre éthique. Une étude menée par trois économistes de l’université du Delaware a évalué la probabilité de remboursement d’un emprunt en analysant le langage utilisé par les emprunteurs potentiels dans leur demande de crédit. Les chercheurs en ont conclu que le langage employé par les demandeurs de crédit est ‘fortement prédictif de la probabilité d’un remboursement’. Sur les dix expressions analysées, cinq sont corrélées de manière positive avec le remboursement, tandis que cinq autres sont corrélées négativement. Fait intéressant, les emprunteurs utilisant les mots ‘Dieu’, ‘paierai’, ‘hôpital’ et ‘merci’ seraient les moins susceptibles de rembourser leur prêt ! Aussi, tout emprunteur potentiel pourrait devoir, à l’avenir, prêter attention non seulement à ses antécédents financiers, mais également aux mots qu’il utiliserait en ligne.

« Si vous voulez frauder le fisc (ce que je ne vous conseille pas), il vaut mieux avoir pour voisins des fiscalistes ou des fraudeurs capables de vous montrer la voie. »

Attention également aux ‘marqueurs de faible intelligence’ qui pourraient vous coûter le job de vos rêves. En analysant les ‘j’aime’ de Facebook, des chercheurs de Microsoft ont trouvé une corrélation étroite entre ceux-ci et ‘le QI, l’extraversion et le souci du travail bien fait’. Les internautes qui, sur Facebook, manifestent leur intérêt pour ‘Mozart, les orages et les frites torsadées’ ont tendance à avoir des QI élevés ,alors que ceux qui aiment les Harley-Davidson, la musique country ou la page Facebook ‘I Love Being a Mom’ ont tendance à avoir des QI plus bas. Des informations a priori innocentes, mais qui pourraient se révéler fort précieuses pour les recruteurs potentiels…

À propos de l’auteur

Docteur en économie diplômé de Harvard et ancien salarié de Google, Seth Stephens-Davidowitz est le premier à avoir analysé nos recherches Google pour mesurer des phénomènes comme le racisme, la maltraitance des enfants ou les préférences sexuelles.

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Bâtir des structures collaboratives

Activez les leviers de la transformation !

Robert Collart, Michal Benedick et Isaac GetzPearson France, 2018 

L’environnement économique, technologique et sociétal s’est complexifié au cours des dernières années, il impliquerait le passage d’un modèle hiérarchique traditionnel à des structures privilégiant l’approche collaborative, holacratique ou sociocratique. L’entreprise doit s’appuyer sur la concertation, les leaders ne sont plus des dirigeants mais des animateurs, et le bonheur au travail est érigé en valeur absolue. Mais au del discours lénifiant voici comment y parvenir.

  • Les disruptions technologiques et socio-économiques poussent inexorablement au changement. Comment fuir l’immobilisme social qui privilégie le statu quo ?
  • La posture de dirigeant dans l’approche collaborative : un exercice de style qui exigera de solides qualités humaines et relationnelles que bon nombre n’ont pas.
  • La maison du management collaboratif : accompagner l’entreprise dans sa transformation tout en préservant l’équilibre entre le système et les salariés. Un exercice que les directions stressées ont du mal à concrétiser.
  • Les trois dimensions de la construction de la vision managériale collaborative.
  • Quatre modèles organisationnels pour faire fonctionner le management collaboratif dans le monde de l’illusion.
  • La ‘Théorie U’ ou comment désapprendre ce que nous savons pour réapprendre quelque chose de nouveau à partir du futur émergent. Je sais faire des mauvais choix, comment en faire de nouveaux ? Tourner en rond avec élégance sur un ring de boxe.
  • L’école publique, l’habitat, la politique : des écosystèmes qui soutiennent le développement des démarches collaboratives. Ou l’art d’assumer les échecs collectivement.

Les disruptions technologiques et socio-économiques poussent au changement. Mais comment fuir l’immobilisme social qui privilégie le statu quo et l’illusion du mouvement ?

Quatre forces sont à l’œuvre elles rendent inévitable la transformation de l’entreprise en une structure plus collaborative et plus innovante. La première est la tendance technologique, avec l’avènement du digital qui a un impact considérable sur nos modes de communication. Notre société vit désormais au rythme des disruptions et exige de la flexibilité pour survivre. La deuxième force est économique, depuis toujours elle rend indispensable la capacité de l’entreprise à s’adapter à un monde VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity et Ambiguity) et à y trouver sa place pour prospérer et atteindre ses objectifs. La troisième tendance est sociologique. La quête de sens et à la recherche de développement personnel, que les salariés doivent placer désormais au premier rang de leurs préoccupations professionnelles. L’attractivité d’une organisation ne se mesure plus à l’aune des salaires ou des avantages financiers qu’elle offre, mais plutôt au potentiel d’épanouissement et aux valeurs qu’elle proposent. Enfin, la quatrième tendance a trait à la santé publique et aux conséquences de l’augmentation exponentielle du stress professionnel 70% , engendré par une culture de la performance toujours plus prégnante et un environnement de travail volontairement anxiogène.

« Le progrès technologique peut être vu comme une succession de ruptures qui bousculent le statu quo. »

Tout semble nous poussait à repenser l’entreprise et à adopter des approches plus collaboratives, pourtant les normes sociales restent bien éloignées de ces modes inédits de travail. En effet, ‘l’immobilisme social’ nous incite naturellement à ne pas remettre en cause la hiérarchie existante et à laisser la décision finale à la personne jouissant du statut hiérarchique le plus élevé, alors que le discours nous dit d’apprendre à exploiter la capacité de l’intelligence collective.

« La structuration collaborative à l’échelle d’un État n’est guère différente de celle de la majorité des organisations. Le même adage s’applique encore et encore : demandez aux gens ce qu’ils veulent et arrêtez de décider pour eux ! » Faut-il encore que les gens soient raisonnables et des objectifs atteignables.

Il faudra passer du système hiérarchique au mode de fonctionnement collaboratif, en privilégiant le ‘développement collectif’ et non la ‘récompense personnelle’. Une organisation collaborative est une nouvelle conception du travail fondée sur des valeurs inédites. Pour trouver ‘le bonheur au travail’ et créer un écosystème collaboratif, commencez par identifier la typologie de votre organisation, puis analysez son mode de fonctionnement en matière de ‘raison d’être, de culture et de gouvernance’ afin de déterminer pour chaque catégorie si vous fonctionnez en mode hiérarchique, participatif ou collaboratif.

La posture de dirigeant dans l’approche collaborative : un exercice de style qui exige de solides qualités humaines et relationnelles.

« Il est facile de penser qu’une entreprise collaborative repose sur un leader charismatique et inspirant. »

L’organisation collaborative se focalise sur le collectif plutôt que l’individuel, il est primordial de porter de l’attention au comportement du dirigeant. Il doit, pour mener à bien la transformation de son entreprise, opérer un changement de paradigme en alignant sa posture et ses actions. Pour la plupart des dirigeants, le périple commence par une ‘prise de conscience’ ou une ‘situation de rupture’. Il s’agirait, par exemple, d’une expérience professionnelle douloureuse (crise économique ou licenciements massifs effectifs ou camouflés), de la recherche d’un modèle compatible avec la quête du bonheur au travail, aujourd’hui promesse de performance optimale.

« La génération des Millenials est en forte demande d’une organisation qui permette le développement personnel. »

Loin de reposer sur le seul charisme de son dirigeant, le développement de l’approche collaborative exige que celui-ci soit doté de compétences spécifiques. Notamment la connaissance de soi (grâce au coaching ou aux techniques de développement personnel), la capacité de remise en question (notamment l’obligation de sortir de sa zone de confort) ou le ‘lâcher-prise’, qui suppose d’être prêt à abandonner le contrôle. L’humilité, la croyance dans l’intelligence collective et l’authenticité sont également de puissants accélérateurs du déploiement de la transformation de l’entreprise. Que faire dans une meute de mâles alfa qui ne croit qu’au profit et à leur pouvoir?

Passer de l’ancien mode managérial hiérarchique au nouveau mode managérial collaboratif exige de se ‘déconditionner’ du premier pour ‘réapprendre’ le second. Pour The Team Academy (une école finlandaise d’entrepreneurs), le leader doit progressivement changer de rôle au sein du groupe en respectant les cinq étapes suivantes :

  • Étape 1 : Posture hiérarchique. Le dirigeant est seul décideur et considère ses employés comme des ‘subordonnés’ obéissants.
  • Étape 2 : Posture centrale. Le dirigeant écoute son équipe, mais décide seul. Il arrête l’aboiement et se détend un peu.
  • Étape 3 : Posture de renforcement de l’équipe. Le dirigeant renforce ‘les capacités de réflexion et de liberté de parole’ de ses collaborateurs, mais reste seul décideur.
  • Étape 4 : Posture d’égal à égal. Le dirigeant est un ‘équipier parmi les autres’ et les décisions sont prises ensemble.
  • Étape 5 : Posture de support. Le dirigeant coache son équipe et la laisse décider dans la plus grande autonomie. Cela demande des qualités et une confiance quasi surréaliste dans un monde sans valeur:-)

Le management collaboratif : accompagner l’entreprise dans sa transformation, et préserver l’équilibre entre le système et les salariés.

La performance est la condition sine qua non de la survie et du développement de l’entreprise. Les pratiques mises en place pour la pérenniser se font au détriment des individus et de l’organisation elle-même. L’hyperperformance d’aujourd’hui conduit à l’hypoperformance de demain’. Pour éviter cet écueil, l’entreprise doit trouver le juste équilibre entre organisation et individu en créant un environnement qui allie ‘performance économique’, ‘bien-être social’ et ‘résilience’. Il faut ériger une ‘maison du management collaboratif’ qui, à l’instar de vraies constructions, repose sur les éléments suivants :

  1. Toit : raison d’être de l’entreprise. Le toit fait référence à la mission et à la vision de l’entreprise (pourquoi elle existe et quels sont ses objectifs). Cet élément donne à nos actions une ‘cohérence collective’ nous permettant d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.
  2. Pilier : liberté. Dans un environnement hiérarchique traditionnel, la responsabilité et la liberté sont restreintes. À l’inverse, dans une entreprise collaborative, le salarié se fixe lui-même ses objectifs et se mobilise avec l’ensemble de ses pairs pour concrétiser la vision de l’entreprise. Chez le distributeur américain Whole Foods Market, par exemple, chaque équipe ou rayon dispose de son propre compte ‘perte et profits’ et peut ainsi décider de recruter des collaborateurs supplémentaires si le ratio coût/bénéfices lui semble favorable. Chez Poult, (aujourd’hui Biscuit International), les collaborateurs se sont réunis en collectif pour définir les critères de recrutement de leur nouveau dirigeant. Les leviers de transition sont ‘la confiance, l’enthousiasme, l’autodirectivité et la transparence’.
  3. Pilier : inclusion. Les équipes travaillent sur des projets co-élaborés ensemble loin du travail en silo et hiérarchisant. Chaque salarié s’implique dans des équipes pluridisciplinaires, et collabore de manière volontaire avec ses collègues. Les leviers de transition sont ‘l’apprentissage collectif, l’égalité intrinsèque, la diversité, le leadership bienveillant et l’action concertée’.
  4. Pilier : développement personnel. Il s’agit ici de prendre en compte la personne dans son ‘humanité’, de se soucier de ses émotions et de la dimension relationnelle. Chaque salarié a la possibilité de s’épanouir, de développer ses compétences et d’identifier sa mission. Les leviers de transition sont ‘l’authenticité, la connaissance de soi et la relation’.
  5. Soubassement : gouvernance collaborative. Elle met en place un système complet favorisant l’approche et le fonctionnement collaboratifs afin de faire prospérer les trois piliers de la maison du management collaboratif.

Les trois dimensions de la construction de la vision managériale collaborative

Prendre conscience de la nécessité de procéder à des changements est loin d’être naturel. En effet, l’être humain a tendance à privilégier le statu quo. Tenir compte de cette crainte permet d’envisager le changement en toute sérénité. Co-construire un futur collectif comporte trois dimensions essentielles. La première implique de ‘rendre le présent inconfortable’. Pour cela, il est indispensable de faire le bilan des ‘dysfonctionnements’ de l’entreprise, du plus anodin au plus important. C’est en général par le biais d’un discours que le dirigeant mobilise ses effectifs et clarifie ‘la raison du voyage’ vers le changement. Ses paroles doivent convaincre son public que rester dans le présent n’est pas une option et que l’ensemble des collaborateurs, y compris lui-même, sont engagés dans une même aventure.

« Aujourd’hui, en ayant encore exclusivement les yeux rivés sur la performance et ses objectifs, on a toutes les chances d’aboutir au résultat inverse, car on s’obstine à utiliser les concepts du 19e siècle dans le monde du 21e siècle. »

La deuxième dimension consiste à ‘créer un futur inspirant’ en identifiant la raison d’être et la vision de l’entreprise. Il existe à cette fin de nombreux outils d’accompagnement du changement, parmi lesquels ‘l’investigation appréciative’ (qui vise à identifier les forces de l’entreprise afin de les déployer lors du processus de transformation collective). Quant à la troisième dimension, elle permet d’identifier les moyens et les ressources nécessaires à la construction de la vision managériale collaborative tels que la maison du management collaboratif, les principes d’intervention (un ‘terrain de jeu balisé’ plutôt qu’une planification rigide), les parties prenantes (les acteurs incontournables du changement), l’équipe transversale et les étapes opérationnelles.

Quatre modèles organisationnels pour faire fonctionner la maison du management collaboratif.

Les organisations collaboratives optent généralement pour une structure hiérarchique horizontale, doublée d’un mode de fonctionnement en ‘cercles autonomes’ et en réseau. Il n’existe pas de modèle d’organisation collaborative prêt à l’emploi. Voici comment chacune des quatre entreprises suivantes a déployé un modèle qui lui était propre :

  • Le Champignon de Bruxelles : cette coopérative d’agriculture urbaine et circulaire a fondé son système collaboratif sur ‘l’holacratie’, ‘la sociocratie’ et la communication non violente. Les rôles et les responsabilités de chacun sont structurés en cercles et sous-cercles imbriqués, chacun étant entièrement libre de prendre les décisions pour les responsabilités qui lui ont été déléguées.
  • Spotify : cette entreprise suédoise est composée de différents collectifs, et sa structure de base est constituée de ‘brigades’ (des équipes multidisciplinaires), de ‘tribus’ (ou ensembles de plusieurs brigades ayant des objectifs à court terme), de ‘chapitres’ (ou communautés d’expertise) et de ‘guildes’ (ou chapitres incluant des personnes issues de plusieurs tribus).
  • Groupe Poult : le modèle de management de l’entreprise s’articule autour de 4 types d’équipes : les ‘équipes à but à atteindre’, les ‘communautés d’expertise’, les ‘équipes stratégiques transversales’ et les ‘équipes ressources mutualisées’.
  • Le kibboutz : fondées en Israël, ces communautés ont pour ciment fondateur l’idée d’une société volontaire dans laquelle chaque membre agirait selon un contrat social défini collectivement. Parmi les principes de base, l’égalité hommes-femmes ainsi que le respect et le partage.

La ‘Théorie U’ ou comment désapprendre ce que nous savons pour réapprendre quelque chose de nouveau à partir du futur émergent.

Le changement implique non seulement de modifier ses actes et ses paroles, mais également de modifier ses croyances. Or, celles-ci peuvent être de nature ‘aidantes’ ou au contraire, ‘limitantes’. Lors d’un changement, les individus traversent différentes phases : la première est la phase d’espoir, durant laquelle la motivation est maximale. Vient ensuite une phase au cours de laquelle les individus expérimentent des situations négatives ou reçoivent des feedbacks négatifs. Ces expériences négatives réitérées façonnent leurs croyances négatives sur le changement et leur perception de celui devient à son tour négative, entraînant un désinvestissement important, de la résignation, voire de la résistance. Dès lors, comment se défaire de ces croyances limitantes pour mettre en place une dynamique d’intelligence collective ?

« Changer, c’est d’abord changer de croyances, avant de changer dans les actes. »

Selon Otto Scharmer et sa Théorie U, nous sommes confrontés à trois voies qui nous poussent à reproduire les mêmes comportements : ‘la voie du jugement qui s’oppose à l’esprit ouvert’, ‘la voie du cynisme qui empêche l’ouverture du cœur’ et ‘la voie de la peur qui bloque l’ouverture de la volonté’. Pour nous affranchir de ces automatismes et nous aider à conduire le changement, Scharmer a élaboré un processus se déployant le long d’un ‘U’ en sept étapes : observer, ressentir, laisser aller afin de se poser la vraie question, puis laisser venir, prototyper, et enfin, agir.

L’école publique, l’habitat, la politique : des écosystèmes qui soutiennent le développement des démarches collaboratives.

Conduire le changement et rénover l’approche collaborative est donc non seulement possible, mais peut également s’appliquer à des domaines autres que l’entreprise ou le travail. L’école publique, par exemple, est accusée de générer ‘beaucoup de souffrance et d’exclusion aujourd’hui’. Elle gagnerait à modifier ses méthodes pédagogiques en s’inspirant de l’approche collaborative des systèmes d’apprentissage alternatifs. Les pédagogies Montessori, Freinet ou Steiner, par exemple, pratiquent l’écoute active et la prise en compte de l’enfant ‘en tant qu’acteur de son apprentissage’.

« Faire le choix de se défaire de ses croyances, de ses jugements, du cynisme et de la peur permet de laisser émerger une solution nouvelle : c’est un changement réel. »

De même, les ‘habitats groupés’, lieux de vie dans lesquels les habitants jouissent d’espaces privés et collectifs, favorisent le ‘vivre ensemble’ et encouragent les rituels collaboratifs (journée de travail collectif de nettoyage, repas partagés, etc.). Même des forteresses imprenables telles que la politique sont vouées à succomber à l’attrait de la structuration collaborative. Les initiatives citoyennes se multiplient pour co-élaborer des solutions concernant les grands enjeux des pays et ainsi combler un véritable vide politique et institutionnel.

À propos des auteurs

Diplômé en psychologie et en gestion des ressources humaines, Robert Collart a accompagné le Groupe Poult dans sa transformation managériale et y a occupé le poste de Chief Happiness Officer. Michal Benedick est coach et facilitatrice. Elle accompagne les individus et les équipes vers l’identification de leur plus haute contribution.

Apprenez à disrupter avant d’être disrupté.

Tout comme Jack Welch, Steve Jobs et bien d’autres encore, John Chambers fait partie de ces leaders charismatiques, visionnaires et engagés qui ont su hisser leur entreprise parmi les plus performantes de leurs secteurs respectifs et motiver leurs équipes à donner le meilleur d’elles-mêmes. Dès lors, quoi de plus naturel pour ce grand capitaine d’industrie que de partager son expérience, ses réussites et ses échecs, à la tête de Cisco Systems, une entreprise informatique américaine. Ses leçons de leadership sauront inspirer les PDG et managers qui souhaitent développer une stratégie globale pour faire de leur entreprise un acteur incontournable et compétitif à l’ère du numérique.

Points à retenir

  • Apprenez à disrupter avant d’être disrupté.
  • Faites preuve de curiosité et d’impatience pour mieux prévoir les tendances.
  • N’ayez pas peur de vous opposer à vos supérieurs et restez ambitieux.
  • Déterminez la mission de votre entreprise en vous fondant sur vos forces et sur l’écoute de vos clients.
  • Ne laissez pas les données l’emporter sur votre propre jugement.
  • Réussissez vos acquisitions en respectant des principes simples et éprouvés.
  • Faites passer vos clients en premier.
  • Recrutez avant tout des profils privilégiant l’efficacité collective.
  • Développez vos compétences en communication pour gérer efficacement les situations de crise.
  • Cultivez le leadership éclairé pour être réellement compétitif à l’ère numérique.

Résumé

Apprenez à disrupter avant d’être disrupté.

Je suis né et j’ai grandi en Virginie-Occidentale, une région longtemps tributaire de l’industrie du charbon, qui a connu une croissance florissante au cours des années 1950 en attirant des entreprises renommées de l’industrie chimique telles qu’Union Carbide et DuPont. Mais tout comme elle n’a pas su anticiper le déclin du secteur charbonnier, la Virginie-Occidentale n’a pas non plus réussi à se protéger de la concurrence, de l’essor de sources d’énergie alternatives et des nouvelles réglementations qui ont touché le secteur de l’aluminium et de la chimie. Plutôt que de faire face à la réalité et d’investir dans de nouvelles activités, les dirigeants d’entreprise locales se sont obstinés à vouloir ‘conserver un statu quo intenable’ en continuant à investir dans des activités qui n’avaient plus aucun avenir.

« IBM considérait que son matériel propriétaire était imbattable; le logiciel était un consommable. Le fait que les clients affirmaient le contraire n’avait pas d’importance.»

En tant que dirigeant d’entreprise, apprenez à ‘disrupter’ au lieu d’être ‘disrupté’. Anticipez le monde de demain en observant les changements dans les comportements et en adoptant les nouvelles technologies. IBM, par exemple, n’a pas tenu compte des besoins du marché en refusant de reconnaître que sa version de l’ordinateur n’était plus compatible avec les attentes de ses clients, à l’heure où les mini-ordinateurs faisaient leur entrée sur le marché. Faites de l’apprentissage et de la formation un outil indispensable pour rester compétitif et innover. Prenez des risques pour bénéficier de l’avantage du premier entrant. Restez fidèle à vos valeurs et apprenez à gérer l’échec.

Faites preuve de curiosité et d’impatience pour mieux prévoir les tendances.

Vos faiblesses peuvent parfois devenir des points forts. Les leaders brillants sont souvent initialement considérés comme ‘naïfs’ ou ‘immatures’. Cependant leur impatience et leur curiosité insatiable les rend à même de mieux repérer les changements du marché et les pousse à vouloir bousculer l’état actuel des choses. Shimon Peres, ancien leader israélien, illustre parfaitement cet état d’esprit impatient, voire téméraire. Son enthousiasme, sa soif d’apprendre et sa détermination à prendre des risques lui ont permis de mieux identifier les changements technologiques et économiques à l’œuvre dans notre monde et de transformer Israël en start-up nation. Si je partage avec Shimon Peres son ‘état d’esprit d’adolescent’, mon enfance a pourtant été rythmée par ma dyslexie.

« Les adolescents ne croient pas au changement progressif, ni les meilleurs leaders d’ailleurs. Ils veulent bousculer le statu quo et se montrent indiscutablement entreprenants, car ils croient qu’ils peuvent changer le monde.»

Mon incapacité à assimiler les éléments nouveaux de façon linéaire a été un important obstacle au cours de ma scolarité. Elle m’a cependant permis, en tant que dirigeant, ‘à relier les points pour prévoir les tendances’ et à avoir une vision précise du marché, des stratégies de nos concurrents et des attentes de nos clients. Aussi, en tant que dirigeant d’entreprise, ayez une vision d’ensemble et faites preuve de curiosité pour obtenir un maximum d’informations vous permettant de mieux comprendre votre marché et vos clients. Sortez de votre zone de confort et jetez un regard neuf sur ce qui vous entoure pour identifier de nouvelles opportunités que d’autres n’ont pas su voir.

N’ayez pas peur de vous opposer à vos supérieurs et restez ambitieux.

Au cours de mon expérience professionnelle, j’ai appris qu’il était parfois indispensable de s’opposer aux décisions de nos supérieurs pour le bien de l’entreprise. Jeune manager chez Wang, je n’ai pas réussi à convaincre son dirigeant du potentiel du marché des PC, celui-ci préférant se concentrer sur son marché historique, le mini-ordinateur. Si j’avais fait preuve de davantage d’insistance, 32 000 personnes n’auraient pas perdu leur emploi. Chez Cisco, j’ai eu le courage de m’opposer aux membres du conseil d’administration qui privilégiaient le rachat de SynOptics, un de nos plus gros concurrents, que je considérais comme un choix aberrant de ‘fusion entre égaux’. Bien nous en a pris : SynOptics a fusionné par la suite avec un de nos plus grands concurrents sur le marché des routeurs, puis les deux entreprises se sont éliminées mutuellement en raison de stratégies et de cultures opposées.

«Je ne regrette absolument pas mes initiatives audacieuses, même celles quiéchouèrent. Mon seul regret est que j’aurais dû faire des paris encore plus audacieux […]. »

En tant que dirigeant d’entreprise, ‘rêvez grand et soyez ambitieux, encore et encore’, mais avant de vous lancer dans tout projet d’envergure, analysez les différentes stratégies pour atteindre votre but, puis expérimentez plusieurs scénarios. Faites en sorte que vos objectifs soient alignés sur votre culture et sur vos valeurs. Si vous estimez que le résultat ne peut pas être atteint, ne vous obstinez pas et identifiez un nouveau projet ambitieux à mener.

Déterminez la mission de votre entreprise en vous fondant sur vos forces et sur l’écoute de vos clients.

Lorsque je suis arrivé chez Cisco en janvier 1991, la société ne commercialisait qu’un seul composant matériel : le routeur. Si Cisco a par la suite survécu à ses nombreux concurrents (Wellfleet, SynOptics, Cabletron, entre autres), résisté à la bulle internet de 2001 et enregistré 65 % de croissance annuelle pendant près d’une décennie, c’est parce que la société disposait de quatre atouts cruciaux. Le premier est sa capacité à anticiper les évolutions de son marché. Le deuxième est la mise en œuvre, au sein de l’entreprise, de processus d’innovation réplicables à grande échelle. Le troisième est l’existence d’une culture de la confiance et de la responsabilisation. Enfin, le quatrième est l’accent mis par l’entreprise sur la résolution de problèmes et l’écoute des attentes client. En outre, Cisco était leader sur son marché car l’entreprise avait compris sa mission, et s’en servait comme socle pour construire une entreprise performante.

« Vous ne pouvez pas réussir si vous ne bâtissez pas sur votre cœur de mission.»

En tant que dirigeant d’entreprise, déterminez votre mission autour de vos forces, des attentes de vos clients et de l’influence que vous exercerez sur votre marché. Développez vos activités dans des secteurs où la demande est importante, et externalisez les activités non essentielles afin de vous concentrer sur votre cœur de métier.

Ne laissez pas les données l’emporter sur votre propre jugement.

Les crises économiques, la concurrence, une plongée des marchés ou un lancement majeur raté sont autant d’obstacles qui empêchent votre entreprise d’atteindre le succès. Lorsque la bulle Internet éclata en 2000, les ventes de Cisco continuèrent à afficher une progression insolente de plus de 60 %. Puis, à partir de décembre 2000, le prix de l’action diminua de moitié et les ventes chutèrent de 30 % en janvier 2001. Alors PDG de Cisco, je décidai de me rendre sur le terrain pour obtenir davantage d’informations et mieux comprendre la situation. Après plusieurs semaines de visites chez mes plus gros clients, le constat était clair : ‘si je maintenais Cisco sur son cap actuel, nous risquions de ne pas survivre.’ Je passai le vol de retour à analyser les informations récoltées pour identifier des pistes d’action, calmement (comme me l’ont appris mes parents, tous deux médecins) en dépit de la gravité de la situation. Je décidai de mettre en place une restructuration, mais loin de changer notre stratégie de départ, cette restructuration visait plutôt à nous assurer d’être organisés de manière optimale pour faire face à la réalité du marché actuel.

« À mon avis, et cela en surprendra plus d’un, les dirigeants qui réussissent sont davantage le produit de leurs difficultés et de leur façon de les gérer que de leurs réussites.»

J’ai retenu une leçon importante de cette douloureuse crise : ne jamais laisser les données l’emporter sur mon jugement. En tant que dirigeant d’entreprise, si vous faites face à une crise, efforcez-vous de déterminer quelle part de la crise actuelle est due à l’environnement extérieur et laquelle est due à l’environnement interne. Communiquez avec toutes les parties prenantes et reconnaissez vos propres erreurs.

Réussissez vos acquisitions en respectant certains principes simples et éprouvés.

Durant les 20 ans qu’a duré mon mandat, Cisco a procédé à l’acquisition de près de 180 entreprises, parmi lesquelles 12 ont été rachetées pour plus d’un milliard de dollars. En tant que dirigeant d’entreprise, respectez les sept recommandations suivantes pour réussir l’acquisition d’une ou de plusieurs entreprises :

  1. Envisagez uniquement des acquisitions compatibles à la vision et à la stratégie de votre entreprise.
  2. Concentrez vos acquisitions dans des domaines où se produisent des transitions importantes du marché et où existent des technologies disruptives. Fuyez les secteurs stables.
  3. Tenez compte de l’avis de vos clients. S’ils vous recommandent une acquisition car elle présente des opportunités en termes de capacités, faites-leur confiance.
  4. Tenez compte de vos intérêts et de ceux de l’entreprise que vous comptez acquérir. Créer une relation ‘gagnant-gagnant’ sera mutuellement bénéfique.
  5. Privilégiez l’acquisition d’entreprises ou de technologies qui sont alignées sur votre ‘portefeuille/architecture’.
  6. Sélectionnez des entreprises dont la culture et les valeurs sont similaires aux vôtres.
  7. Tenez compte de la ‘proximité géographique’ lors de vos acquisitions. Pour rester motivés, les collaborateurs doivent être intégrés géographiquement au sein de la structure qui a acquis leur société. Prévoyez des visites et des échanges réguliers.

Faites passer vos clients en premier.

Développer une relation privilégiée avec vos clients est une clé essentielle de la réussite. Lors de la Grande Récession de 2008, les constructeurs automobiles furent durement touchés par la crise, qui avait entraîné un effondrement de leurs ventes. Les banques refusaient de leur accorder de nouveaux prêts. Les dirigeants des grandes marques automobiles sollicitèrent un plan de sauvetage auprès du gouvernement. Alors que tous nos concurrents adoptèrent une ‘attitude prudente’, Cisco décida au contraire de continuer à accorder des crédits à l’ensemble des constructeurs automobiles. Par cette décision, nous voulions montrer que ‘nous devions nous déclarer présents si nous voulions rester fidèles à notre mission et à notre culture de donner la priorité à nos clients’. En tant que dirigeant d’entreprise, apprenez à faire de vos clients votre priorité absolue. Ne cherchez pas à leur vendre ce dont ils n’ont pas besoin, c’est une stratégie à court terme que vous regretterez à long terme en perdant leur confiance.

Recrutez avant tout des profils privilégiant l’efficacité collective.

Recruter les bons profils est également crucial pour le développement de vos activités économiques. Chez Cisco, nous utilisons trois stratégies pour identifier les talents. Nous recherchons d’abord en interne les profils susceptibles de nous intéresser. Nous avons aussi parfois recours à des recruteurs externes. Enfin, nous dénichons nos talents parmi les collaborateurs intégrés lors d’acquisitions. L’une des compétences fondamentales de ces talents est leur capacité à travailler ensemble et à bâtir des équipes performantes. En tant que dirigeant d’entreprise, si vous recrutez des candidats pour des postes de leaders, tenez compte des sept caractéristiques suivantes :

  1. Leurs résultats passés.
  2. Leur capacité à créer des équipes performantes.
  3. Leur connaissance du secteur pour lequel vous recrutez.
  4. Leur compétence à communiquer efficacement.
  5. Leur esprit d’équipe.
  6. Leur adhésion à la culture de l’entreprise.
  7. Leur aptitude à accorder la priorité aux clients.

Développez vos compétences en communication pour gérer efficacement les situations de crise.

Maîtriser l’art de la communication est également un élément clé dans le parcours de tout dirigeant. Lorsque la bulle Internet a éclaté en 2001, la valeur boursière de Cisco s’est effondrée, une situation qui a donné lieu à une action en justice intentée par des actionnaires mécontents qui s’estimaient lésés. Quelque temps plus tard, alors que je m’apprêtais à prononcer un discours de remise des diplômes à l’université de Virginie-Occidentale et à recevoir un titre honoraire (un immense honneur pour moi du fait de mes liens familiaux avec l’université et de mes racines ancestrales dans cet État), mon père me présenta un journal dont la manchette titrait ‘Le dirigeant de Cisco est mis en accusation’. L’article était rédigé de manière à faire croire que je faisais face à de graves accusations criminelles, alors que la plainte n’avait été déposée que dans le but d’obtenir un arrangement financier. Néanmoins, ‘le mal était fait’. Comment dès lors, prononcer un discours inspirant devant 20 000 personnes qui me croyaient sous le coup d’une inculpation ? Je décidai de remanier mon discours en évoquant l’article et en mettant l’accent sur l’importance de l’intégrité et du leadership dans les moments difficiles tels que celui-ci.

« Pour être un communicant efficace, vous devez formuler votre message pour qu’il atteigne le bon public et vous devez développer vos relations et vos réseaux pour le faire passer.»

En tant que dirigeant d’entreprise, efforcez-vous d’améliorer constamment vos capacités de communication et d’écoute. Aidez vos collaborateurs à faire de même. Faites appel à l’expertise d’un directeur de la communication ‘pour vous aider à traverser le champ de mines des relations publiques et de l’exposition médiatique’.

Cultivez le leadership éclairé pour être réellement compétitif à l’ère numérique.

Les dirigeants visionnaires et éclairés partagent tous un point commun : ils apprécient de remettre en cause le statu quo. Cela ne veut pas dire qu’ils font preuve d’imprudence ou de légèreté, mais qu’ils se fient à leur instinct et se fixent des objectifs toujours plus audacieux. Pour les dirigeants de pays tels qu’Israël, la France et l’Inde, passer au numérique est ‘une occasion unique d’améliorer la vie de la population et de devancer d’autres nations’. Cisco commença à travailler avec Shimon Peres et le gouvernement israélien pour installer un réseau à haut débit entre les habitants et les entreprises, puis exploita cette technologie pour transformer les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’économie en vue de faire d’Israël un État numérique permettant à ses citoyens de prospérer grâce à la révolution digitale. Avec Emmanuel Macron, j’ai fait le pari que la France deviendrait rapidement la ‘start-up nation de l’Europe’. Cisco y a investi 10 millions de dollars dans des start-up, et aujourd’hui le président Macron met tout en œuvre pour encourager l’innovation et promouvoir la digitalisation de la France. À titre de comparaison, en 2012, seules 143 start-up avaient été créées en France. Ce nombre a atteint 743 en 2017. De plus, de nombreux partenariats ont été conclus dans le domaine de l’éducation pour permettre à des centaines de milliers de jeunes Français d’avoir accès à des cours au sein de la Networking Academy de Cisco.

« Les dirigeants éclairés résistent à la tentation et embrassent à la place des idées qui sont non seulement disruptives, mais dont la portée dépasse leur communauté, leur zone de confort et même leur période de l’histoire.»

Le Premier ministre indien Narendra Modi, un autre leader éclairé, a lancé son programme Digital India afin de faire de son pays une puissance numérique incontournable. Pour mener cette révolution numérique, Modi n’a pas hésité à mettre en place des mesures que d’aucuns jugent téméraires comme le prélèvement de ‘86 % de toutes les liquidités en circulation dans le pays’ et la suppression des billets de 500 et 1000 roupies. Cette stratégie s’est, certes, soldée par une diminution temporaire de la croissance et une chute du PIB, mais elle a permis in fine à l’Inde de se hisser au 100e rang (sur 190) des pays où il est facile de faire des affaires, gagnant 30 places par rapport à l’année précédente. En tant que dirigeant d’entreprise, si vous souhaitez être réellement compétitif dans un monde de plus en plus numérique, encouragez le passage au numérique et le développement des start-up, tout en hissant l’innovation au rang de véritable ‘politique nationale’.

À propos de l’auteur

John Chambers est président exécutif du conseil d’administration de Cisco Systems dont il a été le PDG de 1995 à 2015. Il a auparavant travaillé chez IBM et pour les Laboratoires Wang.

Notes de lecture et autres