Mettre la pensée stratégique au service du développement de l’entreprise
Sylvain Monnerie Maxima, 2018
Acheter le livre ou le livre audio
Le terme ‘stratégie’ génère plus de 93 000 000 de résultats.
Utilisé au départ dans le domaine militaire, il s’est étendu à d’autres environnements, notamment à l’économie et à la gestion d’entreprise.
Quelles sont les racines de la pensée stratégique en entreprise ? Qui en sont les principaux théoriciens ? Quelle est la différence entre Strategic Process et Strategic Design ? Sylvain Monnerie, Senior Manager chez Ernst et Young ADVISORY, nous entraîne au cœur de l’histoire de la pensée stratégique en entreprise. Elle s’intéresse à la réflexion orientée contenus de la stratégie, une modélisation désigné par le terme de Strategic Design. Un ouvrage instructif pour qui souhaitent mieux comprendre la démarche stratégique en entreprise.
En quelques Mots
- Il faut comprendre l’architecture globale de l’entreprise pour mieux appréhender la stratégie, un concept victime de polysémie.
- Enseignée d’abord comme politique générale d’administration, la pensée stratégique a vu émerger différents courants de pensée.
- Strategic Design et Strategic Process les deux paradigmes qui structurent la pensée stratégique.
- L’art militaire influence sur notablement le Strategic Design.
- La pensée culturelle occidentale, l’économie industrielle et le positivisme façonnent l’idéologie du Strategic Design.
- Formuler, planifier, se positionner et déterminer les ressources stratégiques : les quatre grands courants de la pensée du Strategic Design apportent chacun un contenu théorique distinct.
Si on résume
L’entreprise évolue autour de trois axes.
Le premier est la philosophie d’entreprise, qui impulse ‘la direction et le sens de l’action’ tout en fixant les perspectives à long terme.
Le deuxième est la politique générale, en d’autres termes, l’élaboration des objectifs fondamentaux.
Le troisième axe est la stratégie, sa mission consiste à identifier les moyens d’atteindre les objectifs édictés par la politique générale. De ce fait, cette dernière occupe une ‘position hiérarchiquement supérieure’ à la stratégie en lui imposant les objectifs à atteindre. Comprendre cette hiérarchie nous permet de mieux appréhender la position de la stratégie dans ‘l’architecture globale’ d’entreprise, et sa relation avec la politique générale et la philosophie d’entreprise.
« La seconde moitié du XX siècle a vu le champ de la pensée en stratégie d’entreprise passer d’une absence réelle d’interrogation à une atomisation de la réflexion et une multiplication des courants de pensée. »
Le concept de stratégie, longtemps réservé au domaine militaire, s’est progressivement étendu à d’autres secteurs d’activité, ce qui a donné lieu à de nombreuses dérives sémantiques et un ‘délitement’ marqué dans notre langue. On use et abuse du concept, ce qui a pour effet de créer une véritable ‘stagflation théorique’ de la stratégie, illustrée par ‘un manque relatif de conceptualisation et une faible hiérarchisation des concepts’. De nombreux services de l’entreprise, qu’il s’agisse du marketing, de la finance ou de la logistique, se sont appropriés ce terme, devenu progressivement polysémique. Jean-Paul Charnay, philosophe et spécialiste de la stratégie, en propose une triple vision, résultant du large éventail de définitions qu’on lui attribue. De par ses origines militaires, la stratégie fait tout d’abord référence à ‘une hiérarchie sociale’ et ‘une répartition des pouvoirs’. Elle est une combinaison d’idées et de moyens dans le but de réaliser des manœuvres. Enfin, en tant que ‘praxéologie sociale’, elle est un ‘système intellectuel orienté vers l’action’ garantissant la pérennité d’une organisation.
Enseignée d’abord comme politique générale d’administration, la pensée stratégique a vu émerger différents courants de pensée.
La stratégie d’entreprise est née en 1908, avec l’ouverture du premier cours de ‘politique générale d’administration’ à la Havard Business School, un enseignement repris par la suite dans la plupart des écoles de commerce américaines. JÀ partir des années 60, la stratégie devient un ‘champ socio-cognitif’ à part entière. Ce nouveau postulat marque l’émergence du conseil en stratégie, et de la création de cabinets de conseil en stratégie, tels que Mc Kinsey et le Boston Consulting Group (BCG).
« Ainsi à l’origine, la stratégie prend naissance dans le domaine militaire, induit un état de guerre et peut se définir comme l’art de conduire des forces armées en vue de la victoire. »
Le BCG identifie deux niveaux de stratégie. Le premier niveau est ‘la stratégie de groupe’ (corporate strategy), définie par la direction générale et qui dicte à l’entreprise le choix du secteur dans lequel elle va s’engager. Le deuxième niveau est ‘la stratégie d’activités’ (business strategy). Décidée par les unités opérationnelles, elle précise les démarches que l’entreprise doit entreprendre pour se positionner dans son ou ses secteurs d’activités. Parce qu’elle segmente l’entreprise selon ses domaines d’activité, la méthodologie du BCG offre aux grands groupes un outil efficace pour le contrôle et la planification. Toutefois, avec le choc pétrolier de 1973 et la crise économique qui s’ensuit, les entreprises s’aperçoivent qu’elles évoluent dans un environnement difficilement prévisible. Elles abandonnent provisoirement leurs rêves de planification stratégique à long terme pour se concentrer sur le management opérationnel à court terme. Dès 1976, H. Igor Ansoff met en avant le ‘management stratégique’ pour trouver le juste équilibre entre les contraintes liées à l’environnement et les capacités de l’entreprise. À partir de 1980, Michael Porter, professeur à Harvard, introduit la notion ‘d’avantage concurrentiel’ au cœur de la stratégie d’entreprise. La stratégie d’entreprise devient un outil qui permet à l’entreprise d’asseoir une position forte à long terme sur son marché. Si l’œuvre de Porter a eu une énorme influence, la stratégie d’entreprise connaît dès les années 80 une ‘forme d’atomisation’ avec l’émergence de différents courants de pensée.
Strategic Design et Strategic Processsont les deux paradigmes structurants de la pensée stratégique.
La multiplicité des points de vue complique la classification de la pensée stratégique. On peut néanmoins s’appuyer sur les travaux d’Henri Mintzberg pour recenser et hiérarchiser les principaux paradigmes structurants. Mintzberg distingue neuf écoles de pensée principales, réparties en deux groupes. Le premier groupe est le groupe ‘normatif’. Il inclut trois écoles qui théorisent la partie ‘définition’ de la stratégie : ‘[l’]École de la conception’, ‘[l’]École de la planification’ et ‘[l’]École du positionnement’. Quant au second groupe, le ‘descriptif’, il regroupe six écoles qui s’intéressent à ‘la description des processus d’élaboration de la stratégie’. Il s’agit des Écoles ‘entrepreneuriale’, ‘cognitive’, ‘de l’apprentissage’, ‘du pouvoir’, ‘culturelle’ et ‘environnementale’. Le premier groupe s’intéresse au contenu alors que le deuxième se concentre sur le processus, donnant naissance aux deux pensées stratégiques suivantes :
- Le Strategic Design s’intéresse à la manière dont la stratégie doit être formulée. Il fournit aux managers des outils et des modèles facilitant la décision. Le Strategic Design contribue ainsi à identifier la stratégie concurrentielle optimale pour l’entreprise, en mettant l’accent sur ‘les dimensions économiques’ de cette stratégie. Le Strategic Design s’inscrit dans le groupe normatif tel que défini par Mintzberg.
- Le Strategic Process s’intéresse à la manière ‘dont se forment et évoluent les stratégies’. Il ne vise pas à formuler des recommandations à l’intention des managers. Le Strategic Process est axé principalement sur l’individu et son processus de réflexion et d’action au sein de l’entreprise. Il met l’accent sur la dimension socioculturelle de l’entreprise. Le Strategic Process fait partie du groupe descriptif selon la classification de Mintzberg.
L’art militaire exerce une influence marquée sur le Strategic Design.
Parce qu’il porte avant tout sur l’analyse des situations conflictuelles, l’art de la guerre a influencé de nombreux courants de la stratégie d’entreprise, et plus particulièrement le Strategic Design. Cette influence se retrouve dans la construction du raisonnement et l’organisation des démarches analytiques particulières. Mais quelles sont les origines de cette influence et quel est l’impact des concepts militaires sur la stratégie d’entreprise ? Quelles relations existent entre concepts militaires et management ? On distingue quatre grandes théories militaires :
- L’ambition rationaliste : d’inspiration française, cette théorie voit la science militaire comme une ‘démarche rationalisée’ dont chaque situation serait appréhendée selon des principes géométriques et géographiques. Le raisonnement mathématique y occupe une position centrale.
- L’approche allemande : Clausewitz, le chef de file de ce courant théorique, affirme ‘l’importance des forces morales des troupes sur la victoire’. Il distingue trois niveaux de la démarche militaire : le niveau politique (recours à la force physique), le niveau stratégique (identification des moyens mis en œuvre pour mener une guerre) et le niveau tactique (qui ‘définit l’emploi des moyens au niveau de l’engagement’).
- Le paradigme classique : selon cette théorie, les pays sont inévitablement amenés à se combattre l’un l’autre. Le conflit devient un ‘instrument de la politique’, et la guerre a pour objectif de mobiliser les forces militaires de la manière la plus rationnelle possible pour assurer la victoire.
- La révolution nucléaire post Seconde Guerre mondiale : en laissant entrevoir l’anéantissement possible de l’humanité, Hiroshima a totalement changé l’approche de la stratégie guerrière. Celle-ci ne vise désormais plus la confrontation à tout prix, mais l’obtention ‘[d’]un résultat favorable au moindre coût’. La notion de destruction cède la place au pouvoir de la dissuasion.
« Évolution sensible, le début des années 60 marque l’émergence de la stratégie comme véritable champ socio-cognitif. »
Aujourd’hui, ‘le langage guerrier’ s’est largement répandu dans l’entreprise : on tue la concurrence, on lance des batailles commerciales, on est offensif… On assiste à un transfert notable des théories propres à la stratégie militaire vers la stratégie d’entreprise. À la fin des années 70, Ries et Trout, et dans une plus large mesure Kotler et Singh, développent le concept de Marketing Warfare (ou marketing de combat), par lequel les concurrents s’affrontent pour gagner des segments et des parts de marché. Swiners met en avant un nouveau concept, le warketing, ‘un marketing-management appliquant à la guerre commerciale mondiale les théories stratégiques et militaires’.
La pensée culturelle occidentale, l’économie industrielle et le positivisme façonnent l’idéologie du Strategic Design.
La pensée occidentale privilégie ‘la dialectique des fins et des moyens’, ou en d’autres termes, ‘le rapport théorie-pratique’. L’action stratégique s’inspire donc du modèle scientifique et technique, qui considère la stratégie comme ‘un plan projeté sur le cours des choses’. La stratégie façonne le monde et modèle le réel pour atteindre les objectifs souhaités. Les écoles du Strategic Design sont largement influencées par cette vision mécaniste. Elles prônent une séparation du travail de conception et du travail d’exécution, et postulent que la réflexion précède et oriente l’action. Le Strategic Design privilégie donc les données mathématiques et quantitatives, aux dépens du sens de l’action.
« La stratégie se voit assigner comme objectif d’assurer à l’entreprise une position stratégique défendable sur le long terme. »
Les notions de concurrence, d’économies d’échelle ou d’avantage comparatif qui influencent largement la pensée Strategic Designsont toutes issues de l’économie industrielle. Des méthodes d’analyse stratégique telles que la matrice SWOT (strengths, weaknesses, opportunities, threats) s’inspirent de l’organisation industrielle. Porter, par exemple, adapte aux problématiques opérationnelles et stratégiques les concepts propres à l’économie industrielle. Il identifie cinq forces concurrentielles (concurrence entre les entreprises, ‘menace des nouveaux entrants’, ‘menace des produits de substitution’, ‘pouvoir de négociation des fournisseurs’ et ‘pouvoir de négociation des clients’) qui, selon lui, dominent la structure compétitive d’un secteur d’activité. Porter définit également trois ‘stratégies génériques’, qui dépendent de la structure d’une industrie donnée, et des forces et des faiblesses de l’entreprise elle-même. Il s’agit de la stratégie de domination par les coûts, la stratégie de différenciation produit et la stratégie de focalisation. Enfin, Porter emprunte à l’économie industrielle un concept important : la chaîne de valeur.
« Influence scientifique et technique, la conception occidentale de la stratégie s’ancre dans une logique de transformation matérielle du monde. »
Issu de la pensée cartésienne, le positivisme d’Auguste Comte se voulait la phase ultime de l’évolution de la connaissance ‘après le stade théologique et le stade métaphysique’. En ce sens, il privilégiait l’observation pratique par rapport à l’abstraction. Vers la fin du XIXe siècle, l’américain Taylor, par exemple, entreprend de transposer la science positiviste à la gestion d’entreprise. La stratégie d’entreprise est envisagée comme un mode de réflexion déductif qui permet de prévoir, de planifier, de coordonner et de contrôler les activités de l’entreprise. Cette approche a profondément marqué le développement des écoles du Strategic Design.
Formuler, planifier, se positionner et déterminer les ressources stratégiques : les quatre grands courants de la pensée du Strategic Design apportent chacun un contenu théorique distinct.
La première école, celle de la conception, propose un modèle d’aide à la décision stratégique. On formule d’abord des objectifs généraux, puis on définit la stratégie et les mesures à mettre en œuvre pour les atteindre, tout en tenant compte de l’environnement et des ressources de l’entreprise. Cette démarche permet de délimiter les opportunités et les menaces, et d’y pallier en déployant ‘des options stratégiques alternatives’. La prise de décision stratégique se fait dans le respect des éléments identifiés, des valeurs défendues par l’entreprise ainsi que de sa responsabilité sociale. Dans le cadre de l’École de la conception, la stratégie est ‘planifiée et unique’ et relève de l’autorité du chef d’entreprise.
« Il est indéniable que l’économie industrielle ait influencé la stratégie d’entreprise. Les notions de compétitivité, de taille critique, d’économie d’échelle, d’avantage comparatif sont autant de concepts issus de l’économie industrielle et qui ont été largement intégrés à la pensée stratégique. »
Les principes développés par la deuxième école, l’École de la planification, visent à atteindre ‘une plus grande capacité de rationalisation des décisions pour les entreprises’. Elle s’appuie notamment sur la gestion prévisionnelle et la planification des décisions. Le développement des techniques financières et comptables, et l’évolution des méthodes quantitatives, facilitent l’introduction de la planification dans la gestion de l’entreprise. Celle-ci se déroule en trois étapes : la fixation d’objectifs quantifiables, l’élaboration d’un programme de mesures à mettre en œuvre et l’annualisation de ce plan sous forme de budgets répartis par services et contrôlés tous les ans. L’acteur principal dans le cadre de l’École de la planification est le ‘planificateur’. Le dirigeant n’intervient ici que pour valider – et non élaborer – la stratégie.
« La planification s’infiltre logiquement dans la grande entreprise entre 1950 et 1970. »
Avec la troisième stratégie, celle du positionnement, l’entreprise doit identifier la position spécifique qu’elle souhaite occuper dans son environnement et y exploiter un avantage concurrentiel. Le dirigeant reste maître des choix stratégiques, mais il est soutenu dans ce processus par un ‘analyste’. Celui-ci utilise ‘le traitement de données quantitatives et le calcul analytique’ pour déterminer, élaborer et déployer la stratégie. Les travaux de Michael Porter ont largement influencé la pensée de l’École du positionnement.
« La RBV fournit également un outil précieux permettant de donner des orientations de diversification. L’entreprise ne dispose plus d’un portefeuille de domaines d’activités stratégiques mais de ressources et de compétences. »
Les années 80 verront s’imposer un quatrième courant de pensée : la Resource-Based-View(RBV) – ou théorie du management par les ressources – est incluse dans le paradigme du Strategic Design. Cette approche identifie les ressources stratégiques susceptibles de fournir un avantage concurrentiel à une entreprise. Elle s’intéresse aux ressources internes de l’entreprise pour déterminer quels ‘actifs tangibles et intangibles’ l’aideraient à développer un ‘avantage concurrentiel soutenable et renouvelable’.
À propos de l’auteur
Sylvain Monnerie est titulaire d’un DESS Sémiotique et Stratégie et d’un MBA Audit, Risk Management & Assurances. Il est Senior Manager chez Ernst et Young ADVISORY, spécialisé dans les problématiques de stratégie, de marketing et de distribution des Services Financiers.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.